Depuis quelques mois, le prix de l’essence a connu une baisse qui, au cours des dernières semaines, s’est transformée en un véritable plongeon. La variation du coût de l’essence est une réalité avec laquelle les consommateurs sont habitués de vivre mais c’est habituellement et sans surprise à la hausse que le prix tend à se fixer, d’où cette agréable surprise en ce début d’hiver. Que se passe-t-il donc sur les marchés pour que les automobilistes aient droit à ce « cadeau » aussi bienvenu qu’inattendu?

Il est difficile d’entrer dans les détails dans le cadre d’un simple article, d’autant plus que tous les éléments de réponses ne sont pas nécessairement accessibles à tous. Les ramifications géopolitiques touchant à l’industrie pétrolière à l’échelle du globe ne sont pas, en effet, étalées sur la place publique par leurs principaux protagonistes. Il est néanmoins possible de débroussailler succinctement les grandes raisons expliquant le cours à la baisse du baril de pétrole.

Au plan économique d’abord, il est à remarquer que les États-Unis ont augmenté leur production domestique de 50 % depuis 2008. Le développement de nouvelles technologies d’extraction facilite désormais l’exploitation du gaz de schiste et de certains gisements de gaz naturel. Des États tels que le Texas, l’Oklahoma et particulièrement le Dakota du Nord ont connu un développement vertigineux de leur secteur des énergies fossiles ces dernières années. Cette hausse de la production et cette indépendance croissante des Américains à l’endroit des producteurs étrangers créent une pression à la baisse sur les prix. Les pays membres de l’OPEP (Organisation des pays exportateurs de pétrole), dont les États-Unis ne font pas partie, ne se sont pas entendus pour manipuler les prix en diminuant leur production, craignant notamment que d’autres joueurs en profitent pour accaparer leur part du marché.

Qui plus est, il semble que les monarchies du golfe Persique estiment que leur hégémonie sur le marché des énergies fossiles pourrait être menacée par les producteurs américains, d’où leur volonté de leur imposer un frein en faisant baisser les prix. « Ces pays ont amassé énormément de réserves en devises et peuvent se permettre de maintenir le prix bas », estime Awalou Ouedraogo, professeur au Collège Glendon de l’Université York. Cependant, ces mêmes pays ne peuvent exercer un contrôle absolu sur les cours. « Je ne crois pas que le prix va continuer à dégringoler, croit M. Ouedraogo. C’est le marché qui fixe le prix », ajoutant que le baril de pétrole devrait probablement se stabiliser entre 60 et 75 $, un prix un peu plus élevé que présentement mais plus bas que durant les dernières années, entre autres parce qu’il existe désormais davantage d’alternatives en matière d’énergie. 

Au plan politique, il n’est pas rare d’entendre et de lire, à gauche et à droite, que cette plongée du prix du baril de pétrole ne serait pas sans lien avec la volonté des États-Unis de nuire à leurs rivaux. L’Iran et la Russie s’appuient largement sur leurs revenus générés par leur secteur énergétique et miner leur économie constituerait une tactique de choix dans la guerre d’usure que leur livrent les États-Unis. La surproduction pétrolière fera éventuellement mal aux producteurs américains eux-mêmes, ce qui laisse penser que les monarchies du golfe, plus ou moins inféodées à Washington, n’auraient pas agi sans son aval en maintenant leur production élevée. « Ces pays ne peuvent décider, comme ça, sans une influence américaine », estime M. Ouedraogo. Son collègue, Stanislav Kirschbaum, également du Collège Glendon, se fait plus nuancé : « Il y a deux théories : d’aucuns disent que c’est un effort pour neutraliser la production américaine. D’autres, qu’il s’agit d’une tentative des États-Unis et de l’Occident pour ébranler la Russie ». M. Kirsch-

baum se montre circonspect quant aux raisons et aux conséquences du cours actuel du pétrole, mais redoute l’hypothèse d’une manœuvre antirusse : « Beaucoup de spécialistes disent que ça va affaiblir la position de Poutine mais, ce faisant, ça va le pousser à agir de façon encore plus dangereuse. » Le dénouement de cette plongée de la valeur du pétrole sera peut-être un amalgame de décisions politiques et de fluctuations des marchés, mais il appert que les producteurs ne sont pas gravement affectés pour l’instant : « La production continue. En d’autres termes, ils sont capables d’accepter une diminution du prix », laisse tomber M. Kirschbaum.

D’autres facteurs, de plus ou moins grande importance, jouent également dans la situation actuelle. Le moins négligeable est sans doute la stagnation économique de l’Europe, où la demande en pétrole demeure en deçà de ce qu’elle pourrait être si l’économie y tournerait à fond. Autre facteur de poids : l’absence de catastrophe naturelle. Le golfe du Mexique est très sujet aux ouragans et les installations pétrolières qui se trouvent à son pourtour en pâtissent souvent. Or, 2014 fut une année très tranquille à ce chapitre : aucune perturbation de la production ne s’est produite avec les conséquences que l’on connaît sur le prix. Parmi les quelques autres variables faisant fléchir le coût de l’essence, mentionnons la popularité des véhicules moins énergivores, le nombre croissant de jeunes, surtout dans les centres urbains, qui vivent sans voiture et la facilité accrue, grâce à internet, à se renseigner sur le prix à la pompe d’une station à l’autre.

Quoi qu’il en soit, les consommateurs devraient se garder d’un optimisme naïf car un évènement majeur, tel un attentat terroriste, une guerre ou une catastrophe naturelle, pourrait faire remonter en flèche le prix du brut. Comme la stabilité internationale se trouve présentement menacée ça et là dans le monde, le futur, même à court terme, du marché des énergies fossiles demeure donc ouvert à toutes les spéculations.